Sciences Po, très bien, juste pas le Graal
- François Morin
- 11 août
- 2 min de lecture
Dernière mise à jour : 3 sept.

L’élan des lycéens pour Sciences Po est frappant. Et perturbant. Parce qu’il est fondé partiellement sur un fantasme. Et ça n’est jamais bon de fonder un choix qui engage pour des années sur un fantasme. Sciences Po est une très bonne maison, qui rassemble professeurs et étudiants talentueux, et a beaucoup des ressources. De là à en faire un quasi-absolu, la référence, au-dessus de tout le reste, clairement non. Une fois passé le porche de la rue Saint-Guillaume, l’enchantement s’efface parfois plus vite qu’une citation de Bourdieu mal apprise.
J’ai vu plusieurs de mes élèves quitter Sciences Po après la première année, par insatisfaction, pour prendre le chemin de l’université ou d’une hypokhâgne. Les gens sont toujours étonnés d’apprendre cela. Et c’est exactement mon point : que l’on ne s’étonne plus que Sciences Po n’est pas le Graal. Qu’on prenne Sciences Po pour ce qu’elle est : un des rares lieux où l’on peut étudier l’ensemble des sciences sociales, s’intéresser à tous les sujets qui font le monde contemporain, parmi des étudiants d’un très bon niveau, profiter de ressources riches et de dispositifs pédagogiques éprouvés et innovants. Voilà qui me paraît honnête. Et peut fonder une candidature raisonnable et enthousiaste à Sciences Po.
Et pourquoi ce n’est pas le Graal ? D’abord il y a un effet de loupe, en France. C’est la seule institution globale orientée sur les sciences sociales intégrable après le bac; en plus, ayant formé une certaine élite, visible. Sciences Po, c’est un peu comme Apple, ce n’est pas forcément meilleur, mais c’est mieux vendu. L’aura est puissante, la marque efficace et la rhétorique bien rodée : on y "forme les décideurs de demain". Pourtant, l’excellence est bien plus du côté de l’ENS ou de brillants parcours universitaires. Ensuite, Sciences Po ne résiste pas à l’appel des meilleures universités du monde. Mes élèves qui obtiennent Oxford ou Cambridge n’hésitent pas longtemps. Pareil pour ceux admis dans les meilleures hypokhâgnes. Enfin, Sciences Po capte de bons éléments du secondaire sur un fondement bien précis : l’approche pluridisciplinaire. Ce qui est un bon point (pour la compréhension du monde contemporain) est aussi un symptôme : une très grande majorité des candidats présentent Sciences Po parce que cela leur évite d’avoir à choisir; il ne se sentent pas choisir un parcours plus spécialisé; ou alors ils veulent « ne pas se fermer de porte » (je vais rédiger un poste sur cette notion d’ailleurs, il le faut !). Voilà, de ce que j’observe, la motivation principale pour Sciences Po. Légitime, juste pas de quoi en faire un Graal.
Je passe ici sur toutes les raisons, déjà largement évoquées, faisant apparaître le caractère superficiel des enseignements à Sciences Po. Essentiellement parce que c’est déjà connu et probablement parce que, quand on est généraliste, il faut admettre que l’on ne peut avoir une approche approfondie. Je ne ferai pas de procès en ce sens à Sciences Po. Ce billet a pour seul but d’inviter à aborder Sciences Po de manière plus raisonnable et donc à envisager avec tout autant d’enthousiasme d’autres pistes souvent insoupçonnées. Ce qui permet, au passage, de se présenter à l’oral de Sciences Po, dans cet état souhaitable : serein.
François Morin
Coach admissions
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