François Morin
L’interrogation du jury (en tant qu’épreuve)
On parle bien d’épreuve ici. Il y a des entretiens au cours desquels vous êtes invité à interroger le jury pendant 5 ou 10 minutes. Pas de panique, si c’est le cas, c’est annoncé dans le descriptif de l’épreuve. Cet exercice est à différencier de la simple question, courante, « Avez-vous une question à poser au jury ? ».
Pourquoi ?
Mettre à l’aise. Cette épreuve est soi-disant une façon de mettre à l’aise les candidats. D’abord, cela vous met dans une configuration inversée, à la place du jury, ce qui est censé « défantasmer » le rôle de ce dernier. Ensuite, on ne commence pas par parler de vous, ce qui serait en mesure d’en débloquer plusieurs d’entre vous. Force est de constater que ceux qui imposent cette épreuve ne connaissent pas grand chose à la psychologie des candidats parce que l’exercice impressionne bien plus qu’un entretien classique ! L’épreuve ne met pas du tout à l’aise, et vous avez raison de trouver cet exercice complètement surfait; mais certains y croient dur comme fer, donc… Il n’empêche qu’il permet tout de même d’observer quelques éléments, cités ci-dessous.
L’écoute. Pour poser les bonnes questions, il faut bien écouter ce que dit le jury, les indices qu’il donne.
La curiosité. Selon que vos questions seront originales ou banales, creusées ou superficielles, vous véhiculerez ou non de la curiosité.
L’analyse. Dans cet exercice, il y a une exigence qui fait la différence : votre capacité à engendrer un cheminement interrogatif cohérent, progressif. Au contraire de cela, un empilement de questions qui n’ont rien à voir entre elles et ne suivent aucune direction. Pour tenir une telle démarche, il faut faire preuve d’une bonne capacité d’analyse, rapide.
Comment ?
Cet exercice est très mal maîtrisé par les candidats dans l’ensemble. Pourtant, sa résolution est simple :
Identifier le bon terrain
Vous ne pouvez commencer de butte en blanc. Vous devez d’abord « investiguer » pour trouver un bon terrain de questionnement.
En effet, vous avez, dans cet exercice, un double intérêt :
Vous valoriser. Vous êtes garant de la consistance de l’exercice. Vous vous doutez bien qu’il ne s’agit pas de poser des questions pour poser des questions (c’est justement ce que font les candidats en général, ils lâchent des questions, dispersées, à la va-vite), il faut que l’interrogation soit intéressante. Si vos questions sont banales, superficielles vous perdez en crédit et l’exercice est totalement factice !
Valoriser le jury. Le jury doit trouver un intérêt dans l’exercice également. S’il n’a rien à dire sur le sujet dont vous lui parlez, il sentira l’exercice vain et pas de son niveau. Le jury doit pouvoir apporter une valeur ajoutée, doit pouvoir donner son point de vue, voire livrer son expertise.
Deux possibilités pour identifier le bon terrain :
Sonder le jury. Comme vous ne connaissez pas vos interlocuteurs, il n’est pas simple pour vous d’identifier un sujet intéressant sur lequel le jury aura une matière intéressante à vous livrer. Alors, interrogez-le, demandez-lui des informations sur lui pour que vous cerniez mieux un terrain de questionnement probable. Cette question est bienvenue notamment si on vous demande d’interroger ensuite un seul membre du jury; vous aurez une base pour sélectionner lequel vous interrogerez ensuite.
« Pouvez-vous me dire chacun quelques mots sur vous, que je comprenne qui vous êtes ? »
Choisir un terrain. Vous ne connaissez certes pas le jury, mais vous avez quand même quelques indices sur sa compétence. Si vous postulez en école d’ingénieurs, vous vous doutez qu’il a des compétences d’ingénierie ou scientifiques. Si vous postulez en école d’art, il est très probable que le jury ait quelque chose à dire sur l’art… Dès lors, sans sonder le jury au préalable, vous pouvez introduire un des éléments suivants :
– Une problématique tournant autour du programme auquel vous postulez
Vous postulez en école de management : « On parle beaucoup de nouveau management, vous qui avez une certaine expérience de l’entreprise, trouvez-vous que l’on se dirige vers des formes nouvelles de management ? »
Vous postulez en école de tourisme : « On a beaucoup entendu parler de Airbnb et de sites collaboratifs. Pensez-vous que ce modèle soit durable et a une influence sur ce que sera le tourisme dans les prochaines années ? »
– Une question tout autre, en rapport avec un sujet que vous maîtrisez
Une pratique personnelle : « Je suis un grand amateur de théâtre et je suis curieux de savoir si vous allez au théâtre et si oui ce que vous appréciez dans cet art ? »
Un sujet d’actualité que vous connaissez : « Nous parlons beaucoup de laïcité dans le débat public, en ce moment, cette question m’intéresse beaucoup (vous avez préparé un sujet d’actualité dessus). C’est une question difficile et d’autant plus lorsqu’on la pose en faisant abstraction des situations concrètes. Vous, dans l’exercice de votre métier, faites-vous l’expérience de mises en difficulté de la laïcité ? »
– Un projet que vous auriez. Dans le programme ou au delà
« Si j’intègre Centrale Nantes, mon souhait est de faire partie de l’association Débatons !. Un sujet me travaille beaucoup, c’est celui du transhumanisme, de l’humanoïde. L’invitation d’un philosophe comme Michel Serres sur la question, vous semblerait-il être une bonne idée pour les élèves de l’école ? »
« J’aimerais travailler sur les énergies marines et développer un concept d’éolien marin. Je voudrais créer mon entreprise à la sortie de l’école. Est-ce vous pensez que l’éolien marin à de l’avenir, vous ? »
2. Questionner
Une fois que vous avez trouvé le terrain de questionnement, vous pouvez déployer ce dernier. Déployer. Cela signifie que :
Votre questionnement se fera toujours sur le même terrain ou sur deux terrains éventuellement. Il est hors de propos de questionner le jury sur une multitude de sujets en si peu de temps.
Votre questionnement prendra idéalement la forme d’un cheminement. Les questions ne devront pas s’accumuler, sans rapport les unes avec les autres. Vous écouterez attentivement les réponses du jury pour essayer, autant que possible, de rebondir. Vous êtes garant de la colonne vertébrale du questionnement. Bref, le questionnement doit être progressif.
Exemple :
« Pensez-vous que l’apparition de sites comme Airbnb est en mesure de changer le secteur du tourisme ? »
Je pense que le modèle collaboratif, présenté comme collaboratif, a une influence assez mineure sur le « business model » hôtelier. D’abord parce qu’Airbnb n’est que la dernière version d’un système existant depuis des années voire des dizaines d’années…
« Vous pensez donc qu’Airbnb est une sorte d’épiphénomène ? »
Presque oui.
« Pourtant, des sites comme Uber sont en mesure aujourd’hui de concurrencer des métiers traditionnels. Si on regarde la valorisation boursière de ces entreprises, elle donne quand même le signal du poids qu’elles ont aujourd’hui. Comment Airbnb pourrait n’être qu’un épiphénomène en étant valorisée deux fois comme le groupe Accor ? »
« La valorisation ne change rien à mon jugement. Ce que je veux dire par épiphénomène, c’est que ce que fait Airbnb est de la gestion hôtelière comme les groupes hôteliers… »
Alors, si le changement ne vient pas d’opérateurs comme Airbnb, d’où va-t-il venir dans l’industrie hôtelière, dans les dix prochaines années, selon vous ?
Je pense que nous allons garder le même cadre. Il ne va pas y avoir de changements majeurs dans l’organisation. En revanche, il va y avoir des changements dans la nature des produits, dans ce qui est offert au consommateur.
Le mot « tourisme » aura-t-il toujours un sens selon vous dans 20 ans ?
Oui, car les publics recherchent de plus de produits clés en main. Cela ne veut pas dire que l’on soit dans les formes très encadrées et standardisées des années 70 ou 80…
Si j’ai bien compris votre argumentation, vous ne pensez donc pas à un changement d’organisation du secteur mais à des innovations-produits. Si vous deviez me parler d’un produit du futur de l’industrie du tourisme, vous me parleriez de quoi ?
Je vous parlerais volontiers de…